Créativité humaine et machine singing
Par Guy-Philippe Wells, Directeur scientifique, LATICCE
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Résumé
Est-ce que l’intelligence artificielle peut être créative ? La réponse à cette question est source de beaucoup d’inquiétudes chez les intéressés des industries culturelles et les artistes, qui se demandent si cette technologie ne viendra pas réduire considérablement leurs sources de revenus, voire faire disparaître des pans entiers de secteurs d’activités dans ces industries. D’autres se demandent ce qu’il adviendra de la créativité humaine si la machine est capable de créer en quelques secondes des productions qui demandaient jusqu’à aujourd’hui des années d’efforts et d’apprentissage, sans parler du talent.
Cette veille vise à mettre en lumière la nature de la créativité humaine et sa relation avec les productions proposées par l’IA. Ceci nous mène sur les distinctions qui peuvent exister entre l’intelligence humaine et l’IA. En discuter est déjà très complexe et il s’agit ici de notre seul objectif. Simplement, définir et appréhender l’intelligence humaine est une tâche qui est aujourd’hui l’objet du travail de milliers de scientifiques à travers le monde. Nous ne ferons ici qu’esquisser un portrait de l’état de la compréhension autour de ces questions qui, nous l’espérons, permettra au lecteur de mieux saisir les éléments de ces questions.
Table des matières
1.Créativité et IA : qu’en est-il de l’artiste artificiel ?
1.1 L’intelligence humaine et l’IA
1.2 L’IA et la créativité
1.3 Question à Chat GPT sur la créativité de l’IA
1. Créativité et IA : qu’en est-il de l’artiste artificiel ?
Dans le film AI de 2001, Stanley Kubrick met en scène le personnage de David, un robot-enfant doté de la capacité de ressentir l’amour. Le parcours du robot lui fait découvrir les joies et les affres de l’amour, qui dictent ses choix, sa perception du monde et son existence. À travers cette émouvante histoire, Kubrick expose aussi l’immortalité du robot, qui existe toujours longtemps après la mort des protagonistes humains et qui a la possibilité de recréer, pour une journée, la relation d’amour qu’il aurait souhaité vivre avec sa « mère ».
Kubrick utilise dans ce film deux grandes craintes de plusieurs êtres humains : la mort et la perte de pouvoir de l’humain aux mains de la machine intelligente. En effet, si les machines immortelles deviennent plus intelligentes que l’humain et réussissent à acquérir un degré d’autonomie suffisant, elles devraient être en mesure de déclasser l’humain et de régner sur notre planète. À la conclusion du film, le réalisateur imagine d’ailleurs un monde où règne l’IA et où les humains ont disparu.
Les développements récents de l’IA ont relancé ce type de conjectures. Les résultats impressionnants obtenus par les différents modèles d’IA proposés au public au cours des dernières années soulèvent avec plus d’acuité la question sur la possibilité que l’intelligence artificielle surpasse l’intelligence humaine dans tous les domaines. Pour ce qui est de la créativité artistique, la question du remplacement des artistes par des machines est source d’inquiétudes pour plusieurs.
Ces questions mettent en relation non seulement les résultats obtenus à l’aide de l’IA par rapport à ceux produits par les humains, mais soulèvent également la question de la nature distinctive de chacune de ces formes d’intelligence. L’IA a-t-elle les mêmes propriétés que l’intelligence humaine ? Est-elle, ou sera-t-elle capable de ressentir des émotions et de les transmettre ? Ces questions font partie d’un très grand nombre de programmes de recherche sur la compréhension de ce qu’est l’intelligence humaine et sur les possibilités de développement de l’IA. Avant de discuter de la créativité de l’IA, il nous semble pertinent de résumer quelques observations sur les rapports entre l’intelligence humaine et l’IA
1.1 L’intelligence humaine et l’IA
L’idée que la machine a le pouvoir d’effectuer les tâches associées au cerveau humain n’est pas récente. Un des pionniers américains de l’IA, l’économiste et sociologue Herbert Simons, s’exprimait ainsi en 1957 :
« Je ne cherche pas à vous surprendre ou à vous choquer. Mais, pour le dire aussi simplement que possible, il existe désormais dans le monde des machines qui pensent, qui apprennent et qui créent. De plus, leurs performances en la matière vont augmenter rapidement jusqu’au moment où, dans un avenir prévisible, l’ensemble des problèmes qu’elles peuvent résoudre sera coextensif au domaine des problèmes auxquels l’esprit humain s’est attaqué. »
Simons était optimiste, prévoyant que la machine serait capable dans une vingtaine d’années d’effectuer tout le travail d’un cerveau humain. L’IA des années 1950, tout comme celle précédant les années 2000, était bien loin de celle que nous connaissons aujourd’hui, qui est encore très loin d’accomplir avec succès une multitude de tâches que le cerveau humain accomplit sans sourciller.
La première difficulté à souligner dans la comparaison entre les deux types d’intelligence dont nous discutons est que l’IA nous fait souvent entrer dans une fantasmagorie qui nous projette dans une conception futuriste d’un monde déshumanisé tout en nous ramenant à notre condition de simple mortel. Les marches sont vite montées vers un futur qui est encore très incertain, les résultats de l’IA, bien qu’impressionnants à plusieurs égards, sont encore bien loin des craintes de notre imagination.
La seconde difficulté est que la nature même de ce qu’est l’intelligence humaine fait toujours l’objet de débats scientifiques. On peut en recenser des dizaines, voire des centaines de définitions toutes aussi valables les unes que les autres. Daniel Andler, dans son lumineux ouvrage sur l’IA, propose la définition suivante :
« L’intelligence est la capacité de découvrir en temps utile des solutions acceptables à une variété illimitée de problèmes pressants, en exploitant les connaissances acquises sur le monde environnant et en recherchant celles qui manquent. Certains de ces problèmes naissent du besoin de mieux comprendre (décrire, expliquer, prédire) le monde. »
En ce sens, l’intelligence humaine est relationnelle. Elle s’exprime dans une interaction avec son environnement. L’expression de l’intelligence qu’est la découverte peut être le fruit de la chance, du hasard, de l’imagination ou de l’entêtement d’un individu. Le chercheur peut tester une idée apparemment insensée. Une idée visant un objectif précis sera finalement utilisée avec succès dans un contexte tout autre.
Pour Andler, l’intelligence humaine manifeste trois traits dont l’IA est dépourvue : la conscience, le sens, et le sens commun. Si l’IA est capable de reconnaître une pomme, elle n’est pas capable de l’appréhender, de la goûter, de ressentir son effet sur le corps. Il existe tout un éventail de problèmes que ces lacunes n’empêchent pas de résoudre. Mais il existe également une différence entre la connaissance directe d’un objet et sa connaissance indirecte et il semble impossible de mesurer concrètement quel est l’impact que cette différence peut avoir sur la résolution d’une multitude de problèmes.
L’intelligence humaine se manifeste également par ce qu’on appelle le « bon sens ». Nous acquérons par l’expérience une compréhension familière du fonctionnement des choses familières de la vie courante. Nous en tirons des connaissances et une capacité de jugement qui facilite la résolution de problème dans des situations déroutantes ou insolites.
Comme je l’ai mentionné plus haut, les avancées marquantes de l’IA ont été limitées jusqu’au début des années 2000. Qu’est-ce qui a permis à la recherche de progresser à partir de ce moment ? C’est essentiellement la capacité de récolter des données sur internet qui a permis ces avancées extraordinaires d’où émanent les modèles d’IA qui nous émerveillent (et inquiètent) depuis peu.
La gigantesque génération de données issue de l’activité humaine sur internet a procuré aux chercheurs de l’IA la matière première dont ils étaient jusqu’alors largement privés. Se sont mises en place des machines statistiques qui repèrent des régularités dans des stocks de données pour les regrouper en catégories ou pour relier un nouvel objet à l’une d’entre elles. Ces techniques appartiennent au domaine de l’apprentissage automatique, dont font partie les algorithmes du « deep learning » (DL).
Le DL repose sur ce qu’on appelle un réseau de « neurones » constitué de plusieurs couches qui transforment les données brutes en information pertinente, sous la forme d’une représentation des caractéristiques des données par différentes couches d’analyse qui capturent des caractéristiques, des plus simples aux plus complexes. Pour entraîner correctement un modèle d’IA, une énorme quantité de données est nécessaire.
Unravelling AI Complexity- a Comparative View of AI, Machine Learning, Deep Learning, and Generative AI. Created by Dr. Lily Papova Zhuhadar, 07, 28, 2023
Le second élément fondamental de l’IA est l’utilisation des statistiques dans le développement, l’entraînement et l’évaluation des modèles qu’elle produit. Différents modèles statistiques sont au cœur des « décisions » que prennent les modèles d’IA pour arriver à la résolution des problèmes qui lui sont posés. Un modèle d’IA découvre la réponse à la question ou à la requête en s’ajustant progressivement au profil statistique de l’ensemble de la base d’apprentissage. Sommairement, on peut simplifier le fonctionnement d’un modèle d’IA en le présentant sous la forme d’un ensemble complexe de modèles statistiques qui utilise les données disponibles sur internet comme matière première.
Source : ChatGPT Requête: Peux-tu me fournir une illustration du rôle des statistiques dans les réseaux de neurones profonds?
La puissance de calcul associée à la quantité de données disponibles, encadrées par de robustes modèles statistiques, font en sorte que l’IA a la capacité de résoudre en quelques instants des problèmes qui demanderaient beaucoup plus ou simplement trop d’énergie et de ressources à l’intelligence humaine. Elle a également la capacité de détecter des caractéristiques de phénomènes ou d’objets qui passeraient inaperçues à l’intelligence humaine.
Les modèles d’IA souffrent toutefois de plusieurs faiblesses. Notons-en trois directement liées à notre sujet. La première porte sur l’utilisation des données sur internet comme matière première. Ces données constituent une représentation du monde, mais ne sont pas le monde lui-même. Les concepteurs d’un modèle d’IA ne savent souvent pas avec exactitude quelles sont les données utilisées pour son entraînement. Leur source provient d’une représentation numérique de la vie et non de l’expérience de la vie comme telle. C’est une différence énorme entre le développement de l’intelligence humaine et celui de l’IA.
La seconde est liée à la construction statistique des modèles d’IA. La nature même de la statistique est de projeter un résultat avec une certaine marge d’erreur. Cette marge existe donc et est susceptible de provoquer des erreurs dans les résultats proposés par l’IA. On pourra argumenter avec raison que l’intelligence humaine n’est pas elle aussi exempte d’erreurs… La principale différence entre les deux formes d’intelligences est que l’on pourra plus facilement détecter les causes de l’erreur humaine que celles de l’erreur de l’IA.
Pour l’erreur humaine, on tentera de remonter le chemin du raisonnement ou de la pratique qui a mené au résultat erroné. Pour l’erreur de l’IA, le fonctionnement interne du modèle statistique qui mène au résultat est tellement opaque et inexplicable, même à son concepteur, que la source de l’erreur peut être très difficile, voire impossible à identifier. L’efficacité des modèles d’IA est essentiellement mesurée par leur capacité à fournir la réponse adéquate à une requête. Là où le résultat procuré par le modèle d’IA est vérifiable, on peut mesurer son taux de réussite. Lorsque le résultat consiste en un jugement qui a un caractère abstrait, par exemple, le choix d’un candidat pour une promotion dans une entreprise, la nécessité de pouvoir expliquer la décision devient importante.
L’explicabilité des résultats procurés par les modèles d’IA est une préoccupation fréquente des instances de régulation de l’IA qui se mettent en place. De nombreux acteurs du secteur travaillent à tenter d’apporter des solutions à ce problème. Il apparaît comme étant très complexe d’y arriver, la nature totalement empiriste des modèles d’IA s’accordant très mal avec les exigences rationalistes de l’explication.
Il nous apparaît clairement que les chemins qu’empruntent l’intelligence humaine et l’IA pour arriver à la résolution d’un problème sont très différents. Ce qui est fascinant de l’IA est l’étendue de ses connaissances et la vitesse avec laquelle elle propose une réponse à une requête. Il y a quelque chose de magique dans l’utilisation de ChatGPT. Rappelons-nous que nous sommes seulement à une trentaine d’années d’une époque où les références d’internet n’existaient pas. Les questions posées lors de discussions entre individus sur des faits, l’histoire ou la géométrie restaient alors très souvent sans réponses. Aujourd’hui, une machine à la réponse à presque tout. Elle n’est pas parfaite, mais elle est très bonne.
La troisième faiblesse que nous exposons est la difficulté du pas vers la transformation créatrice. L’IA n’a pas la capacité de sortir du cadre qui lui est imposé par les données dont elle dispose. Elle peut produire des nouveautés dans ce cadre, sans avoir la possibilité de produire une œuvre qui s’en émancipe. Ceci lié au fait que l’IA n’a pas d’intentionnalité, n’a pas le besoin humain de s’exprimer, constitue une différence fondamentale avec la nature de l’être humain. C’est ce qui nous mène à notre sujet suivant, la créativité.
1.2 L’IA et la créativité
L’IA de 2024 nous comprend. Elle pige ce que nous voulons dire, non seulement dans la suite des mots de nos requêtes, mais surtout dans l’analyse du sens d’un texte et des émotions qu’il véhicule. Pour nous amuser, nous avons repris un passage d’une chanson et avons demandé à ChatGPT de nous l’expliquer. Le résultat est le suivant :
Question : Qu’est-ce que tu comprends de la strophe suivante : « le matin grêle dans ma petite tête, les idées filent au ralenti, une belle chandelle dans mon nombril, coudonc hier soir c’était-tu ma fête ? »
Réponse : La strophe est empreinte d’un ton familier et poétique, avec une pointe d’humour ou de légèreté. Voici une interprétation possible :
Analyse de chaque vers :
« Le matin grêle dans ma petite tête » :
Cela exprime un réveil difficile. La « grêle » symbolise peut-être un tumulte intérieur (pensées confuses, sensation de chaos) ou une sensation physique désagréable, comme un mal de tête.
« Les idées filent au ralenti » :
Cela traduit un état d’esprit lent, une difficulté à penser clairement, souvent associée à un réveil après une soirée agitée ou intense.
« Une belle chandelle dans mon nombril » :
Cette image est plus métaphorique et humoristique. Elle pourrait évoquer une posture désinvolte ou le souvenir d’un moment absurde de la veille, comme si une trace physique ou un objet improbable était resté après la soirée.
« Coudonc hier soir c’était-tu ma fête ? » :
Cette question rhétorique renforce le ton familier et évoque l’idée d’une soirée marquante (peut-être festive ou confuse). Elle suggère une incertitude ou une surprise face à ce qu’il reste des événements de la veille.
Interprétation globale :
La strophe dépeint un réveil après une soirée qui semble avoir été intense ou désordonnée. Elle mêle confusion, lenteur mentale et un brin d’autodérision. On imagine quelqu’un qui se réveille un peu groggy, essayant de mettre de l’ordre dans ses souvenirs et constatant les conséquences d’une soirée peut-être plus festive qu’attendu.
Le ton léger, mêlé à des images poétiques et humoristiques, rend la strophe vivante et engageante, avec une impression d’authenticité et de quotidien revisité avec créativité. 😊
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La capacité d’analyse de ChatGPT nous étonne, pour ne pas dire nous émerveille. L’échange sur ce texte avec un humain pourrait très bien ne pas être aussi riche de compréhension. Et l’IA ne se fait pas prier pour avoir la conversation… (quoi qu’elle pourra se faire payer, ce qui n’est pas le sujet ici). L’interprétation globale du texte est très intéressante. Elle décrit un état mental, un contexte émotif, ce qui pourrait sembler au-delà des aptitudes d’interprétation d’un modèle d’IA.
Ce qui est aussi étonnant est qu’ensuite nous lui demandons si ce texte se retrouve dans une chanson. ChatGPT trouve l’artiste, mais se trompe de chanson et d’album. Ce qui donne un exemple de la faiblesse des données recueillies sur la musique québécoise. Le modèle d’IA réussit là où nous faisions l’hypothèse qu’il aurait de la difficulté et échoue là où la question nous semblait plus adaptée aux capacités que nous leur attribuons. Cet exemple fait état à la fois de forces et de faiblesses du modèle d’IA.
L’IA est donc capable de reconnaître l’émotion et de la décrire. Elle est aussi capable d’en produire. À la question : « peux-tu m’écrire quatre lignes poétiques sur un réveil difficile ? » Elle répond :
« Dans l’écho brumeux d’un matin engourdi,
Le soleil peine à percer mes rêves alourdis.
Chaque pensée s’effrite, chaque geste hésite,
Comme si la nuit s’accrochait à mes cils en fuite. »
Le texte produit n’est pas mal, mais plutôt scolaire. L’IA est aujourd’hui capable de produire une chanson complète, musique et paroles, en quelques secondes, dans le style choisi par la personne qui en fait la requête. Il est possible de lui faire chanter un texte que l’on a écrit soi-même. Les possibilités sont infinies. Les tests de génération de chansons que nous avons effectués avec les outils de Udio donnent des résultats impressionnants. Les chansons produites ne se distinguent pas vraiment de la pop diffusée par plusieurs stations radiophoniques.
C’est cet aspect des nouvelles capacités de production automatique qui a d’abord retenu l’attention des industries culturelles. Très vite, il est apparu que l’IA a le potentiel d’offrir des productions musicales, littéraires ou visuelles avec une rapidité inégalable à un très bas coût. Les défis économiques posés par l’IA sont évidents pour les artistes et les producteurs qui subissent encore pour la plupart les contrecoups de la transformation numérique.
L’IA vient donner un dernier coup de massue aux secteurs culturels qui produisaient des œuvres simples, comme les « jingles » ou la publicité. Ces activités autrefois très lucratives pour un groupe d’artistes devraient poursuivre leur migration économique vers la technologie. C’est un nouveau coup dur pour les artistes qui utilisaient les montants récoltés dans ces activités pour financer leurs véritables créations, souvent moins rémunératrices.
De l’autre côté du spectre, certains artistes mettront à profit ces nouvelles technologies pour innover et créer d’une manière encore inédite aujourd’hui. L’IA générative en est à ses débuts et l’on peut imaginer que le paysage culturel se transformera de manière notable au cours des prochaines années, à mesure que les outils technologiques s’ajouteront dans l’arsenal des créateurs. C’est à notre avis un nouveau chapitre de la culture qui s’ouvre.
Les considérations que nous pourrions évoquer ici sont nombreuses et il n’est pas possible de le faire. Nous y reviendrons dans de futures éditions de cette veille. Les aspects qui nous paraissent fondamentaux lorsque nous tentons une comparaison entre l’humain et la machine sont ceux de l’originalité de la création et de l’intentionnalité de son auteur, du lien de la création avec le monde réel, tel que nous l’expérimentons.
En quelque sorte, la simplification extrême de la production de chansons, de textes ou d’images pourrait être perçue comme une avancée dans la création artistique. Rares sont ceux qui ne finissent pas par se plaindre d’être abreuvés d’œuvres toutes semblables, qui reprennent les mêmes codes et les mêmes méthodes. L’humain n’a pas attendu l’IA pour appliquer des recettes culturelles, qui pourraient ressembler davantage aux algorithmes des modèles d’IA qu’à une véritable créativité.
La capacité reproductive infinie de l’IA fait perdre pratiquement tout intérêt pour ce type de production. Si un guide de croissance personnelle créé par l’IA est plus efficace que ceux écrits par les humains, quel sera l’intérêt de produire ces derniers ? Si l’IA est capable d’en produire un excellent à chaque minute, quel est le sens de la production humaine?
Si la chanson pop normée de l’IA est aussi efficace que celle d’un jeune chanteur, qui investira les sommes nécessaires pour le produire ? En ce sens, l’IA risque d’évacuer une partie de la production culturelle qui n’ajoute aujourd’hui pas beaucoup à l’expérience humaine.
Par contre, les contrastes entre la production de l’IA et la créativité humaine peuvent révéler la richesse de la deuxième. Les artistes originaux devront creuser le sillon plus profondément pour mettre en valeur l’originalité et l’intentionnalité de leurs créations. Disons-le, c’est une vision optimiste de l’avenir de la créativité humaine, mais elle ne nous semble pas farfelue. Son pendant est que la création originale peut se trouver ensevelie sous une montagne de productions insignifiantes, ce qui en rendra sa reconnaissance encore plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui. D’où l’importance pressante de développer des outils de découvrabilité de la culture à l’abri des seules considérations économiques.
Dans un chapitre du livre « Intelligence artificielle, culture et médias » de Guèvremont et Brin, François Levin pose quatre questions à propos de la capacité de la machine à créer, dont les deux dernières nous intéressent particulièrement : « 3) une machine reproduit-elle les processus spécifiques (combinaison, exploration, transformation) qui caractérisent le fait de créer ? ; 4) une machine intègre-t-elle dans son processus une « altérité » telle que les effets de son fonctionnement ne soient pas entièrement contenus dans les causes qui le déterminent ? »
Pour encadrer ces questions, Levin utilise d’abord les types de créativité distingués par Boden:
« (…) la créativité combinatoire, qui consisterait à assembler de manière surprenante différents éléments préexistants, la créativité exploratoire, c’est-à-dire la génération de choses nouvelles par l’exploration d’un espace prédéterminé, et la créativité transformationnelle, qui consiste à modifier cet espace lui-même. Cette troisième forme de créativité est la plus radicale, pourrait-on dire, en ce qu’elle engage des transformations profondes et l’établissement de nouveaux paradigmes. Boden affirme que le troisième type de créativité est le plus difficilement accessible pour une machine. »
Ces distinctions ont le bénéfice de nous éclairer sur différents mécanismes de création, mais les frontières entre les types demeurent floues. Par exemple, qu’entend-on par « surprenant » ? Pour qui ? Boden propose une typologie en forme de marches, mais les niveaux sont difficiles à trancher et elle conserve une part subjective qui est fonction de la relation entre l’individu et l’œuvre.
C’est peut-être dans la conjugaison de l’aspect relationnel entre l’œuvre et l’individu et de la reconnaissance de l’intentionnalité du créateur que l’on peut établir une distinction plus nette entre la créativité humaine et les productions de l’IA. Ce qui m’émerveille dans la peinture « Le jardin des délices » de Jérôme Bosch, que l’on peut admirer au musée du Prado de Madrid, c’est non seulement l’imagination qui se déploie dans l’œuvre, l’érotisme, l’ironie et l’humour, mais aussi le fait que Bosch l’ait réalisée aux alentours de 1500, dans un contexte de création artistique très conservateur.
L’œuvre elle-même constitue un médium, au-delà de la mort, d’une époque à une autre, de l’expérience humaine. C’est un geste de communication entre des individus qui ne se connaissent pas, qui ne vivent souvent pas en même temps, mais qui échangent des émotions à travers une œuvre, à travers le temps. Ceci, l’IA ne pourra jamais y parvenir, parce qu’elle n’est pas mortelle.
1.3 Question à Chat GPT sur la créativité de l’IA
Question à ChatGPT : Est-ce que l’intelligence artificielle peut être créative au même titre que l’intelligence humaine ?
Réponse : La créativité de l’intelligence artificielle (IA) est un sujet complexe et fascinant. Si l’IA peut produire des résultats créatifs impressionnants, sa créativité diffère fondamentalement de celle des humains.
Points de similarité :
- Production de nouveauté : Les IA peuvent générer des œuvres artistiques, de la musique, des textes, et même concevoir des solutions techniques innovantes en combinant des données d’une manière inédite.
- Exemples :
- Les générateurs d’images comme DALL·E ou MidJourney.
- Les algorithmes qui composent de la musique dans des styles variés.
- Exemples :
- Apprentissage et amélioration : Grâce à des techniques comme l’apprentissage par renforcement ou les réseaux neuronaux, l’IA peut « apprendre » à améliorer ses créations en réponse aux retours qu’elle reçoit.
Différences fondamentales :
- Absence d’intention :
- Les IA n’ont pas d’objectifs intrinsèques ou d’émotions. Leur « créativité » est le résultat de processus algorithmiques et de la manipulation de données, et non d’une impulsion ou d’un besoin personnel de s’exprimer.
- Un humain, par contraste, crée souvent pour exprimer des émotions, partager des idées ou résoudre des problèmes.
- Dépendance aux données :
- L’IA crée en s’appuyant sur les données qu’elle a ingérées. Elle ne « sort » jamais du cadre de ses données d’apprentissage sans être explicitement guidée. L’humain peut inventer des concepts entièrement nouveaux sans point de départ direct.
- Originalité vs Répétition :
- Même si une IA peut produire des résultats qui semblent originaux, ils sont souvent des combinaisons ou des extrapolations sophistiquées des données existantes.
- L’humain, en revanche, est capable de sauts créatifs « hors du cadre », souvent imprévisibles et qui bouleversent des paradigmes.
Peut-on dire que l’IA est créative ?
- Oui, dans une certaine mesure : Si on définit la créativité comme la capacité à produire quelque chose de nouveau et d’utile, l’IA peut être créative, mais dans un cadre déterminé par les humains.
- Non, dans un sens humain : L’IA n’a pas de conscience, de subjectivité ou de véritable intention. Sa « créativité » est dépourvue de profondeur émotionnelle ou de sens personnel.
En somme, l’IA excelle dans certaines formes de créativité (génération rapide, exploration d’options multiples), mais elle n’a pas encore atteint le niveau de sensibilité et d’intuition qui caractérise l’intelligence humaine. La collaboration entre IA et humains reste souvent le moyen le plus puissant de créer quelque chose d’exceptionnel.
Cet article est le résultat d’une collaboration entre LATICCE-UQAM, CEIMIA et Mitacs.
Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cette veille demeurent sous l’entière responsabilité du rédacteur.
- Direction scientifique : Michèle Rioux, directrice du LATICCE
- Rédaction : Guy-Philippe Wells, directeur scientifique du LATICCE
- Coordination : Janick Houde et Arnaud Quenneville-Langis du CEIMIA
- Révision : Mathieu Marcotte du CEIMIA
- Centre d’expertise international de Montréal en intelligence artificielle (CEIMIA)
- 7260 Rue Saint-Urbain, Montréal, QC H2R 2Y6, suite, 602, CANADA. Site web: www.ceimia.org
- Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM)
- UQAM, 400, rue Sainte-Catherine Est, Pavillon Hubert-Aquin, bureau A-1560, Montréal (Québec) H2L 2C5
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