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Technologie et commercialisation de la culture : un fragile concubinage à réguler

Par Guy-Philippe Wells, Directeur scientifique, LATICCE

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Résumé 

Cette édition de la veille explore la relation entre les chocs technologiques et la culture, en tirant des leçons pour la régulation de l’intelligence artificielle (IA) et en se basant sur l’histoire de la propriété intellectuelle et des industries du cinéma et de la musique. L’article met en évidence que les réponses régulatoires varient selon les États et que la judiciarisation des problèmes est souvent inefficace, comme le montre la lutte contre le piratage musical. La régulation internationale de l’IA est complexe en raison de sa nature transnationale, de la diversité des approches et du poids des acteurs privés, ce qui présente des défis importants pour les États. 

Face aux nombreuses inquiétudes des citoyens à travers le monde, il est difficile de voir aujourd’hui quel chemin les États peuvent emprunter afin de limiter les impacts néfastes et potentiellement dangereux de l’IA. Ainsi, l’édition souligne l’importance d’une régulation internationale de l’IA pour équilibrer innovation, droits fondamentaux, justice sociale et sécurité globale, tout en reconnaissant les défis liés aux réalités nationales et les intérêts souvent distincts des États quant aux avenues de régulation privilégiées. Nous verrons que l’étude du parcours de la régulation mondiale de la culture, particulièrement dans les secteurs de la musique et du cinéma, peut nous renseigner sur les défis, difficultés et intérêts en jeu dans l’itinéraire de régulation qu’a récemment entrepris l’IA.

Table des matières 

  1. 1. Aux origines de la régulation de la culture
  2. 2. La commercialisation de masse
      1. 2.1 Le cinéma en France
    1. 2.2 Le cinéma aux États-Unis
    2. 2.3 La musique aux États-Unis
    3. 2.4 Quelques enseignements à tirer pour les industries culturelles
  3. 3. Une application de ces constats à la régulation de l’IA en culture ?
    1. 3.1 Les initiatives multilatérales
    2. 3.2 Les enjeux stratégiques : souveraineté, innovation et sécurité
  4. Conclusion

La rapidité des changements technologiques et leurs impacts potentiels sur nos manières de vivre et notre organisation sociale peuvent être déstabilisants et inquiétants pour plusieurs. L’intelligence artificielle (IA) est sans doute l’invention technologique contemporaine qui se prête le plus à la prospective d’une société future souvent sertie d’une riche fantasmagorie qui peut susciter autant l’émerveillement que la frayeur. Des appels à un encadrement régulatoire de l’IA sont aujourd’hui entendus dans de nombreux forums à travers le monde. Nous proposons ici de prendre un pas de recul pour porter notre regard sur un passé plus ou moins récent où se sont rencontrés chocs technologiques et culture. Nous pouvons peut-être en tirer quelques enseignements utiles pour faire face aux défis que pose aujourd’hui l’IA pour nos sociétés.

Commerce de la culture, technologie et régulation ont une relation tellement longue qu’il est possible d’en trouver les origines à plusieurs moments de l’histoire, tout dépendant du regard que l’on porte sur celles-ci. Pour amorcer notre réflexion, prenons d’abord l’exemple d’un aspect toujours au cœur des préoccupations commerciales contemporaines, la protection de la propriété intellectuelle (PI), pour montrer que la régulation moderne qui peut nous apparaître aujourd’hui comme allant de soi tire ses origines de transformations technologiques et régulatoires issues d’un contexte économique et social particulier, celui de la société vénitienne du 15e siècle.

Voyons ensuite comment se sont déclinées les initiatives régulatoires dans les industries du cinéma et de la musique, particulièrement en France et aux États-Unis, deux acteurs majeurs au monde par leur rôle dans la régulation en matière de culture. Ce portrait nous permettra de mieux comprendre comment émergent les différents régimes régulatoires et quels sont les points d’accords et de tensions dans leurs rapports. Nous proposons ici un aperçu de ces sujets afin d’en tirer quelques enseignements qui peuvent nous aider à appréhender quel parcours pourrait suivre le régime régulatoire de l’IA.

1. Aux origines de la régulation de la culture

L’on a depuis longtemps reconnu la nécessité de conférer au détenteur d’une idée commercialisable une protection afin d’encourager la recherche et la création. La cité de Venise est la première à mettre en place un système général de brevet en 1474. Jusqu’alors, les États accordaient des privilèges équivalents, mais sur une base individuelle. Le décret vénitien accorde aux inventeurs de toute machine une période d’utilisation exclusive de dix ans.

On accorde donc dès lors une rente économique aux inventeurs en ayant comme objectif de favoriser l’innovation et l’activité économique. Déjà à l’époque se développe le discours sur l’interaction entre le rayonnement de la puissance économique d’une région, l’attirance qu’elle revêt pour les créateurs, les marchands et le cadre légal qui permet d’en assurer la pérennité.

Il n’est pas étonnant que Venise soit la cité destinée à établir les bases de la PI. Elle est alors une plaque tournante en Europe et influence les autres États autant au chapitre des questions sociales qu’économiques. D’abord concentré dans le développement de l’industrie du verre, technique difficile à maîtriser à l’époque, ce qui explique la concurrence des États pour attirer les artisans qui la détiennent, le brevet favorise une autre industrie qui est une grande nouveauté : l’industrie du livre. Le brevet a un impact non seulement sur la propriété des machines qui servent à imprimer les documents, mais également sur le contenu des livres imprimés. La diffusion du savoir par les livres s’accompagne du besoin pour les détenteurs de ce savoir de le protéger. Les premiers éditeurs vénitiens se retrouvent à devoir protéger leurs œuvres des « pirates », notamment florentins, qui copient ces œuvres et les revendent illégalement sous le nom de l’éditeur d’origine.

Il est remarquable que l’invention de ce qui se rapproche de la propriété intellectuelle moderne ait été une réponse à une nouvelle et révolutionnaire technologie de l’information. L’imprimerie a changé le contexte dans lequel pouvaient se déployer l’invention et le savoir; elle a modifié fondamentalement les règles du jeu pour ceux qui cherchaient à tirer profit de leur contrôle de la propriété des techniques et procédés secrets, d’une information privilégiée, ou simplement de l’accès à des savoirs importants. (May, 2002, p.18)

Les détenteurs de brevets sont généralement les éditeurs, mais il arrive également que les auteurs obtiennent les droits sur leur œuvre, même s’ils ont bien peu de pouvoir face à ceux qui détiennent le droit d’imprimer. Cette organisation économique nous indique que dès le départ, ce sont les intérêts économiques des entreprises détentrices des droits de production qui favorisent le développement du cadre légal protégeant leur exclusivité.

Le cadre légal du brevet qui est développé à Venise est, lors de son déclin économique, exporté peu à peu à travers l’Europe par la migration des artisans vénitiens qui réclament de leur terre d’accueil une protection équivalente à celle dont ils bénéficiaient à Venise. (May, 2002)

Le développement de l’imprimerie encourage la définition de nouvelles règles de protection de la PI partout en Europe. Des règles s’établissent en Allemagne, en France, en Espagne et en Grande-Bretagne tout au long des 17e et 18e siècles. Les lois successives adoptées en Grande-Bretagne aboutissent en 1709 à la Loi de la reine Anne qui institutionnalise la PI sous une forme qui a toujours cours aujourd’hui, notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Chez ces derniers, la Loi de 1790 reprend les principaux éléments de la Loi de la reine Anne et donne aux créateurs les droits d’auteurs pour une période de 14 ans renouvelable pour encore 14 ans. Tous se basent sur les concepts développés à Venise au 15e siècle. (Bowker, 1912)

Nous retenons deux principaux éléments de ce que nous venons d’exposer : 1) l’initiative régulatoire provient d’un choc technologique et est avant tout motivée par des considérations économiques; 2) une régulation qui procure un avantage comparatif à un État se propage dans les États concurrents.

2. La commercialisation de masse

Bien que le rapport entre commerce et culture soit bien antérieur au 20e siècle, on peut soutenir la thèse que la commercialisation de masse de la culture est apparue à la fin du 19e siècle grâce à quelques inventions technologiques, particulièrement celles permettant l’enregistrement sonore et la diffusion d’images. Les industries de la musique et du cinéma que nous connaissons aujourd’hui ont pris leur envol au début du 20e siècle, poussé par les nouvelles opportunités offertes par ces inventions. Nous présentons ici l’évolution régulatoire de ces industries culturelles, en France et aux États-Unis pour ce qui est du cinéma et aux États-Unis pour la musique.

  1. 2.1 Le cinéma en France

Le marché cinématographique est né en France en 1895 dans le cadre des activités de l’entreprise Lumière. Il y a place au débat entre Edison, Marrey et Reynaud, mais accordons que Louis Lumière est aux premières loges de la création de cette industrie. On peut dire que, depuis l’exploitation commerciale du Cinématographe Lumière le 28 décembre 1895, il n’y a pas eu une journée en plus d’un siècle sans projection commerciale de films. (Benghozi, 1997 : 37) Il est intéressant de constater que la naissance de l’industrie cinématographique est le résultat de la collaboration d’un Français (Lumière) et d’un Américain (Edison). Edison invente en 1894 le Kinétoscope, qui sera en démonstration à Paris la même année et qu’observent alors les frères Lumière. Le Kinétoscope les met sur la piste de l’invention du premier projecteur viable commercialement. (Britannica, 2015)

Le pionnier du cinéma d’auteur est le Français Georges Méliès. De 1896 à 1913, il produit, dirige, filme et joue dans plus de 500 films. Un de ses films, Le voyage dans la lune, deviendra le premier succès cinématographique international. Charles Pathé fonde en 1896 la Société Pathé Frères et fait concevoir une caméra qui domine le marché des deux côtés de l’Atlantique. Pathé devient au début du 20e siècle la plus importante compagnie cinématographique en Europe. À ce moment, l’intérêt de l’auditoire français pour les films en termes de recettes n’est surpassé que par les Américains. (Britannica, 2015) 

La Deuxième Guerre mondiale a un impact important sur la production cinématographique française. Durant la guerre, des centaines de films américains ont été produits et n’ont pas été vus en France alors que l’industrie française a bénéficié de l’embargo sur les films étrangers, décrété par l’occupant allemand, pour maintenir, voire augmenter la production de films français. La fin de la guerre rend explosive la situation économique du film en France et l’industrie réclame une forme de protection pour maintenir sa production.

La France a une importante dette de guerre à négocier avec les États-Unis. Les accords Blum-Byrnes, signés le 28 mai 1946 à Washington, annulent la totalité des dettes de guerre française et offrent à la France un crédit de 1 370 millions de dollars. En annexe, l’accord prévoit la création, en France, d’un quota de quatre semaines par trimestre réservé au cinéma français (Gimello-Mesplomb, 2003 : 97). Le monde du cinéma se mobilise contre ces accords, les trouvant trop timides, et l’opposition parvient à obtenir la signature de nouveaux accords qui prévoient une période d’exploitation garantie de vingt semaines par an et un quota annuel de 121 films américains doublés autorisés à être distribués sur le territoire français. (Ibid. : 100)

L’importance accordée à ce moment aux enjeux culturels montre bien que leur impact dépasse les simples considérations économiques. « L’âpreté de la discussion sur un sujet relativement mineur, l’industrie cinématographique, défie toute analyse qui s’en tiendrait au seul plan économique. » (Wall, 1987 : 47)

Cette mobilisation a comme effet de lancer le système d’aide français à l’industrie cinématographique. L’État français adopte en septembre 1948 la Loi d’aide temporaire à l’industrie cinématographique qui va poser les bases de ce qui est aujourd’hui considéré comme l’un des piliers de l’exception culturelle française. Le système énoncé est celui d’un prélèvement général sur tous les billets de cinéma vendus en France (y compris sur ceux des films étrangers distribués sur le territoire hexagonal et dans les colonies) d’une fraction de 10,9 % du prix du billet, dite TSA (Taxe supplémentaire additionnelle). Cette taxe alimente un fonds spécial, le Fonds d’aide à l’industrie cinématographique (ou Fonds de soutien) dont la principale mission est la redistribution de l’argent au secteur de la création, selon des grilles mathématiques (au prorata des recettes engendrées par les films précédemment réalisés). À ce système s’ajoutent des taxes sur les chaînes de télévision et sur leur chiffre d’affaires de publicité, une taxe sur le produit des abonnements et des subventions directes du ministère de la Culture.

Aujourd’hui, l’industrie française du film est financée par une toile de taxes et protégée par des quotas sur les films américains diffusés sur son territoire. Cette aide importante contribue à l’épanouissement du film français en France et à travers le monde, lui donnant un statut auquel peu d’autres pays peuvent prétendre. 

Les Français sont les citoyens les plus cinéphiles au monde. La France n’est devancée au chapitre de la production de films que par l’Inde et les États-Unis. Son système d’éducation au cinéma est unique, son réseau de distribution des films est encore diversifié et le Festival de Cannes demeure le plus prestigieux. (Hatchondo, 2011)

La France « use de la complète panoplie des dispositifs inventés par des pays de taille moyenne ou modeste pour aider leur industrie nationale : quotas, subventions diverses en faveur des programmes patrimoniaux, soutien aux télévisions publiques, défiscalisations pour les tournages locaux, aides régionales. Et elle les met en œuvre à l’échelle la plus haute. » (Dagnaud, 2011 : 27)

  1. 2.2 Le cinéma aux États-Unis

Thomas Alva Edison invente le Kinétoscope en 1894. Il aura un impact très important sur le développement de cette industrie. Les débuts sont artisanaux, avec des projections itinérantes de suite d’images sans trame narrative. 

L’industrie s’organise rapidement, comme le montre la croissance des nickelodeons (petites salles de cinéma), qui passent de presque rien en 1904 à entre 8000 et 10 000 en 1908. À cette époque, une vingtaine de compagnies américaines produisent des films et se livrent une concurrence féroce. Les plus importantes d’entre elles (Edison, Biograph, Votagraph, etc.) signent une entente de collusion. Elles forment le Motion Picture Patents Company (MPPC) pour contrôler tous les aspects de l’industrie. La MPCC est poursuivie en 1912 par le gouvernement américain en vertu du Sherman Act et sera démantelée en 1918. La production de films se déplace en partie de l’est du pays vers Hollywood au début des années 1910. La possibilité de tourner à l’année grâce au climat, la multiplicité des paysages dans un petit rayon, la présence d’un solide noyau théâtral à Los Angeles et les taxes basses sont autant de raisons pour l’établissement de studios à Hollywood. Dès 1915, 15 000 personnes y travaillent et 60 % des films y sont produits. C’est à cette époque que sont fondés les ancêtres des studios que nous connaissons aujourd’hui. (Britannica, 2015)

Les années 20 sont celles de la croissance extraordinaire de l’industrie et de l’intégration verticale par les grands studios qui contrôlent la production, la distribution et la diffusion. En 1930, 95 % de la production américaine est partagée par huit grands studios. Entre 1930 et 1945, le système des studios produit 7500 films. La « belle époque » est freinée en 1948 par l’intervention du gouvernement américain qui oblige les grands studios à se défaire de leurs salles de cinéma pour encourager la concurrence. Les grands studios déclinent durant les années 50 et 60 et font face à la concurrence de compagnies de production plus petites. La plupart des grands studios sont alors achetés par de grands conglomérats pour lesquels les activités cinématographiques ne constituent qu’une petite partie de leur chiffre d’affaires. (Britannica, 2015)

La Motion Pictures Association of America (MPAA) est fondée en 1922, sous le nom de Motion Picture Producers and Distributors of America.  Les studios souhaitent se défendre contre les velléités de censure du gouvernement qui font suite à certains excès dans les comportements personnels d’acteurs hollywoodiens. L’industrie promeut l’autorégulation et publie un code de conduite (le code Hays) concernant les comportements immoraux ou criminels dans les films (Britannica, 2015). L’idée est que l’industrie se réglemente elle-même, sans intervention du gouvernement.  

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la MPAA ajoute à son mandat la promotion des films américains à l’étranger. « MPAA has evolved with the times in order to promote the success of our core mission: advancing the business and art of filmmaking, protecting the creative and artistic freedoms of filmmakers, and ensuring the satisfaction of our audiences worldwide. » (MPAA, 2015)

De nos jours, le marché mondial du cinéma est dominé par six entreprises que l’on appelle communément « the Big Six ». Il s’agit de Warner Bros. Pictures, Paramount Pictures, 20th Century Fox, Walt Disney Pictures/Touchstone Pictures, Sony Pictures et Universal Pictures. Chacune de ses compagnies est la propriété d’un plus large conglomérat.

Les six studios réunis ont obtenu 80,8 % des revenus cinématographiques américains en 2014 (The Numbers, 2015). Bon an, mal an, le Big Six récolte aux alentours de 80 % de ces revenus. Les Américains ne sont pas les plus grands producteurs de films au monde. La production est diversifiée, mais le film américain domine nettement par sa présence exceptionnelle dans les salles à travers la planète. (Towse, 2010 : 439)  

Le cinéma américain est dès son origine une affaire gros sous. Son histoire est celle d’une tentative de prise de contrôle par des cartels différents. Du monopole d’Edison jusqu’à aujourd’hui, malgré les actions antitrust du gouvernement américain, l’industrie est demeurée profitable, concentrée, influente et toujours aux mains d’un groupe d’entreprises privées qui forment un oligopole commercial.

Les valeurs américaines de libre entreprise, de liberté d’expression, d’individualisme, de mobilité sociale et d’égalité ont évidemment un effet sur la relation qu’entretient la société américaine avec la culture.  La libre entreprise et la liberté d’expression s’accordent mal avec le contrôle étatique du financement des arts. L’attachement au mythe anti-aristocratique provoque un ressentiment face à ce qu’on appelle la « haute culture ». L’obligation de rendement, la prise de risques et l’efficacité associées à la concurrence font en sorte que la société américaine préfère placer les choix de créations artistiques directement entre les mains des producteurs. L’exceptionnalisme américain se trouverait ainsi confirmé par la domination extraordinaire de son industrie cinématographique à travers le monde.

  1. 2.3 La musique aux États-Unis

Entre Thomas Edison et Émile Berliner, la fin du 19e siècle a vu apparaître les fondements de ce qui est aujourd’hui l’industrie du disque. Edison, télégraphiste de métier puis inventeur, conçoit en 1878 le phonographe, procédé mécanique capable de graver le son sur un cylindre qui peut ensuite être lu et écouté. Sa création a d’abord une vocation commerciale d’enregistrement de messages dans les entreprises. Émile Berliner développe de son côté le gramophone en 1887-1888, qui permet de reproduire des sons à l’aide de disques et non de cylindres.

Ces deux inventions vont créer une révolution technologique mondiale qui n’est pas la dernière que connaît l’industrie du disque. Au cours du 20e siècle, les amateurs de musique ont successivement utilisé différents médiums pour écouter les œuvres des artistes : phonographe, disque 78 tours, disque microsillon, cartouche huit pistes, cassettes audio, disques compacts et MP3. Chacune des innovations technologiques apportait un avantage pour les amateurs de musique. Le cylindre a permis l’enregistrement de plus deux minutes de musique, le disque 78 tours en permettait trois minutes et demie et rapidement, les deux côtés du disque étaient utilisés pour les enregistrements, ce qui constituait un avantage décisif face au cylindre. Le disque microsillon augmentait la durée d’enregistrement jusqu’à 23 minutes par face. Plus léger et plus durable que le disque 78 tours, proposant une meilleure qualité de son, il devint le médium dominant au cours des années 1950. La cartouche huit pistes, surtout utilisée aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, a rendu le médium portable en rendant possible l’écoute de musique enregistrée à l’extérieur du domicile, particulièrement dans les automobiles. La cassette audio l’a supplantée en quelques années, plus petite et disposant d’une plus grande capacité d’enregistrement. Ensuite, le disque compact a combiné les avantages de la portabilité et de la qualité du son et est graduellement devenu le médium le plus utilisé au cours des années 1980.

Au cours du 20e siècle, les innovations technologiques successives ont visé l’augmentation de la durée d’enregistrement permise par le médium, sa durabilité, l’amélioration de la qualité du son et la portabilité rendant possible l’écoute de musique dans différents contextes. Le développement de la compression numérique des fichiers audio procure une amélioration de tous ces éléments, mis à part celui de la qualité de l’enregistrement qui fera l’objet de nombreux débats et ensuite celui de la qualité de l’écoute.

À la fin du 20e siècle, l’industrie mondiale de la musique est étroitement concentrée et trois entreprises multinationales détiennent entre 65 % et 80 % du marché mondial de la musique enregistrée : Universal Music Group, Warner Music Group et Sony Music. Ces trois entreprises détiennent également près de 60 % du marché mondial de l’édition. Dans le plus important marché de la musique, les États-Unis, cette domination est encore plus grande, à plus de 80 % des revenus générés par les ventes d’albums et l’écoute en ligne.

Ces entreprises produisent non seulement la plupart des grands succès de la musique mondiale, mais font également partie de conglomérats du divertissement qui œuvrent dans le cinéma, la télévision et les magazines. La taille de ces entreprises, les immenses catalogues d’œuvres dont elles détiennent les droits et leur intégration horizontale, représentent de formidables barrières à l’entrée pour quiconque souhaiterait entrer en concurrence avec elles.

Dès la fin des années 1990, le modèle d’affaires de ces entreprises commence à souffrir du partage gratuit d’œuvres musicales par l’intermédiaire d’internet sous la forme de MP3. Les géants de l’industrie musicale amorcent alors une lutte contre ce qu’elle qualifie de « piratage ». Cet épisode est peut-être celui qui peut le mieux nous renseigner sur les réactions possibles à adopter face aux effets disrupteurs des nouvelles technologies sur les industries culturelles.

La Recording Industry Association of America (RIAA) est la principale organisation qui lutte contre le piratage. Elle regroupe plus de 1600 compagnies, dont les trois « majors » que nous avons évoqués plus haut. La RIAA évalue à plus de 50 % les pertes de l’industrie causées par le piratage durant la décennie qui a suivi l’apparition de Napster en 1999. 30 milliards de chansons auraient été téléchargées illégalement au cours de cette période. Comme il s’agit du bras armé de l’industrie musicale américaine, il est inévitable qu’elle se lance dès lors dans une féroce campagne de lutte au piratage.

Nous pouvons diviser l’action de la RIAA contre le piratage en trois périodes où l’accent de la lutte a été porté sur une stratégie en particulier : de 1999 à 2003, la RIAA a attaqué les sites de partage de fichiers. Cette lutte s’est avérée une course contre la montre alors qu’à mesure qu’un site était fermé, un autre offrait alors les mêmes services sans interruption. La RIAA s’est alors tournée vers les utilisateurs d’internet et a entrepris des démarches juridiques contre environ 35 000 internautes entre 2003 à 2008. Concomitamment, la RIAA a poursuivi des fournisseurs d’accès internet afin qu’ils divulguent l’identité de leurs clients qui étaient soupçonnés de partager illégalement de la musique. Mais le nombre d’utilisateurs du partage gratuit ne cesse d’augmenter : « The internet measurement company Big Champagne estimated that those engaged in P2P activity more than doubled from an estimated 4,319,182 in September 2003 to 9,284,558 in September 2005. » (Strowel, 2009, p. 213-214)

C’est dire à quel bassin gigantesque de « pirates » la RIAA s’attaque en lançant sa campagne de poursuites en 2003. Il paraît clairement dès le départ qu’elle ne pourra poursuivre la totalité des internautes qui contreviennent aux dispositions légales américaines sur le droit d’auteur. Il semble bien que sa stratégie repose alors sur la démonstration du sérieux de sa démarche. La crainte de poursuites pourrait créer un effet multiplicateur qui convaincrait un grand nombre d’internautes de ne pas s’impliquer dans le transfert de fichiers. Il s’agira alors de médiatiser les poursuites, d’en lancer un grand nombre et de réclamer beaucoup d’argent.

La RIAA tente également d’obliger les fournisseurs d’accès internet (FAI) à leur fournir l’identité des individus qu’elle soupçonne de partager illégalement de la musique. Une bataille juridique se déclenche dans plusieurs pays entre les FAI et la RIAA ou ses substituts. Il s’agit là d’une lutte avec un partenaire de sa taille. Les FAI sont en effet souvent la propriété d’entreprises de très grande envergure et elles sont un adversaire plus coriace que les simples utilisateurs d’internet. Au terme de la lutte, dans la plupart des cas, l’industrie de la musique ne parvient pas à obliger les FAI à lui transmettre l’identité de ses clients sans qu’il y ait de poursuites judiciaires d’entreprises contre ceux-ci. Plusieurs jugements estiment que le rôle joué par les FAI ne les rend pas responsables des atteintes au droit d’auteur rendues possibles par leur infrastructure.

À partir de 2008, la RIAA délaisse graduellement le champ de bataille légal pour tenter d’arriver à ses fins en convainquant le Congrès d’adopter des lois qui protégeraient efficacement ses intérêts. Parallèlement, elle a développé une approche plus coopérative avec les FAI dans l’espoir de développer conjointement des mesures qui réduiraient le partage illégal de fichiers.

L’industrie de la musique a tiré de tous les côtés durant sa première phase de réaction à la nouvelle réalité du partage de musique par internet. Elle a poursuivi des étudiants, des personnes âgées, des fournisseurs d’accès à internet, des établissements d’éducation, des entreprises de la nouvelle économie, et nous en passons. En voulant protéger ses droits de tout le monde, elle s’est mise beaucoup de monde à dos. En définitive, face à une impopularité grandissante, à un cadre légal qui ne lui est pas favorable en tous points et à une croissance continue du partage de fichiers sur internet, elle n’a eu d’autre choix que de cesser sa stratégie de poursuites tous azimuts.

La RIAA élabore ensuite une stratégie visant la modification des lois américaines afin qu’elles permettent de mieux veiller à ses intérêts commerciaux. Le Stop Online Piracy Act (SOPA) est la principale initiative légale pilotée par RIAA. Le projet de loi prévoit la possibilité de bloquer auprès des internautes américains un site où se trouverait du contenu protégé par des droits d’auteur. Il prévoit également un retrait des publicités et des moyens de transactions financières sur ces sites. Intervenant tard dans le débat sur le projet de loi, au moment du débat en comité, les entreprises suivantes ont fait part de leur opposition au projet SOPA : AOL, eBay, Facebook, Google, LinkedIn, Mozilla, Twitter, Yahoo!, et Zynga. Dignes d’un scénario hollywoodien, les chantres de la nouvelle économie se sont levés pour dénoncer des éléments majeurs du SOPA.

En parallèle de ces démarches légales et politiques, des innovations technologiques sont à l’œuvre, offrant de nouvelles possibilités quant au développement de modèles d’affaires qui pourraient remettre l’industrie de la musique sur ses rails et rendre beaucoup moins critique la lutte au piratage que mène la RIAA depuis une décennie, sans beaucoup de succès. C’est en Suède que se développe durant cette période Spotify, la petite entreprise qui deviendra l’archétype de ce nouveau moyen d’échange entre l’industrie de la musique et ses amateurs qu’est l’écoute en ligne.

Grâce à l’écoute en ligne, l’industrie mondiale de la musique a finalement négocié la transformation numérique et retrouvé les niveaux de revenus de son âge d’or après une période de turbulence d’une quinzaine d’années. Les majors ont finalement réussi à capter les revenus issus de l’écoute en ligne. Notons cependant que la réalité économique des artistes et des producteurs est très diversifiée à travers le monde et que plusieurs industries de la musique locale ont beaucoup perdu par le passage du modèle de vente d’albums à celui de l’écoute en ligne.

  1. 2.4 Quelques enseignements à tirer pour les industries culturelles

Le premier constat que nous tirons de ce portrait historique est que l’apparition d’une nouvelle technologie n’entraîne pas une réponse régulatoire identique dans tous les États. Les intérêts économiques locaux, les lois et principes fondateurs des États, le pouvoir politique, les valeurs partagées ou promues et le contexte social sont tous des éléments à prendre en compte lorsque vient le temps de produire une réponse régulatoire face à une transformation technologique.

Cette variété de réponses nationales provoque des tensions entre les États lorsque le marché d’une industrie culturelle dépasse ses frontières. C’est bien entendu le cas des industries du cinéma et de la musique. On l’a vu rapidement plus haut, la commercialisation de la culture est l’objet de rudes négociations en commerce international, qui dépassent largement la valeur commerciale de ses industries. Nous pourrions faire un long portrait (que nous ne ferons pas ici) des tensions commerciales entre les États sur le commerce de la culture. Il nous semble suffisant d’indiquer ici que les industries américaines du cinéma et de la musique sont devenues, à travers la transformation numérique, dépendante économiquement du marché international. Celles-ci ont longtemps établi leur modèle économique sur une rentabilité de leurs productions uniquement sur le marché américain, le marché international représentant en quelque sorte la cerise sur le gâteau. 

Graduellement, la part de leurs revenus totaux qu’elles ont tirée des marchés étrangers est devenue de plus en plus importante, faisant dès lors partie des calculs de rentabilité des productions.  La dynamique d’internationalisation de la dépendance au marché international était ainsi déjà amorcée à la fin du 20e siècle, mais la transformation numérique l’a accélérée et exacerbée. Spotify et Netflix sont aujourd’hui présents dans la plupart des États et cherchent à capter la valeur de tous ces marchés en adaptant leurs tarifs et leur programmation aux réalités nationales.

Le second constat que nous pouvons établir est que la portée mondiale des marchés du cinéma et de la musique impose un modèle régulatoire où s’entrechoquent les intérêts économiques des entreprises mondialisées et les politiques nationales des États. Différents forums internationaux constitueront le théâtre de ce choc où s’exprimeront les divergences entre les positions des États. Les initiatives locales de régulation seront scrutées par les autres États afin de mesurer quels sont leurs effets sur les industries culturelles nationales.

Le troisième constat que nous faisons, à la suite des conflits entourant la protection de la PI au début des années 2000, est que la piste de la judiciarisation de la problématique apporte peu ou pas de solutions à sa résolution. Les poursuites des multinationales américaines au début des années 2000 ont été jugées inefficaces pour contrer le phénomène du piratage. 

C’est la montée de Spotify, Netflix et d’autres plateformes numériques qui a finalement largement contribué à apaiser les multinationales de la culture et non la multitude de poursuites qu’elles ont engagées envers leur public.

3. Une application de ces constats à la régulation de l’IA en culture ?

Résumons donc les constats que nous venons de présenter plus haut :

  1. L’apparition d’une nouvelle technologie n’entraîne pas une réponse régulatoire identique dans tous les États. Les intérêts économiques locaux, les lois et principes fondateurs des États, le pouvoir politique, les valeurs partagées ou promues et le contexte social sont tous des éléments à prendre en compte lorsque vient le temps de produire une réponse régulatoire face à une transformation technologique.
  2. La portée mondiale des marchés du cinéma et de la musique impose un modèle régulatoire où s’entrechoquent les intérêts économiques des entreprises mondialisées et les politiques nationales des États.
  3. La piste de la judiciarisation de la problématique apporte peu ou pas de solutions à sa résolution.

De son côté, la régulation internationale de l’IA est rendue complexe par trois facteurs majeurs.

  1. La nature transnationale des technologies: les systèmes d’IA circulent via les flux de données, de logiciels et de services numériques, ce qui rend inopérante toute tentative de régulation strictement nationale.
  2. La diversité des approches régulatoires: l’Union européenne privilégie une logique de droits fondamentaux et de précaution (AI Act), les États-Unis adoptent une approche plus souple et sectorielle (CEIMIA, 2023) et la Chine opte pour une approche régulatoire. Le Canada adopte une approche prudente en élaborant un projet de réglementation dans la lignée de l’AI Act européen, tandis que le Japon propose des politiques dédiées pour stimuler le secteur de l’IA (CEIMIA, 2023; CEIMIA, 2024).
  3. Le poids des acteurs privés: les grandes entreprises du numérique (Google, OpenAI, Microsoft, Baidu, Tencent, etc.) sont souvent plus puissantes technologiquement que les États eux-mêmes, ce qui impose de repenser les mécanismes traditionnels de régulation internationale centrés uniquement sur les gouvernements.

Ces dynamiques produisent un « patchwork » de normes et de pratiques qui, s’il n’est pas coordonné, risque d’accroître la fragmentation du cyberespace et de freiner l’adoption d’une IA sécuritaire. C’est sans doute ce qui explique qu’un certain nombre d’initiatives multilatérales ont été mises de l’avant au cours des dernières années.

3.1 Les initiatives multilatérales

L’Union européenne : le modèle normatif du « Brussels Effect »

L’UE, avec son AI Act adopté en 2024, constitue la première grande tentative de régulation complète de l’IA. Le texte classe les usages de l’IA selon leur niveau de risque (inacceptable, élevé, limité, minimal), interdit certaines pratiques (surveillance biométrique généralisée, manipulation cognitive), et impose des obligations de transparence et d’évaluation aux développeurs de systèmes à haut risque. Comme ce fut le cas avec le RGPD, la portée extraterritoriale de cette réglementation pourrait entraîner un effet d’entraînement mondial, en incitant les entreprises à se conformer aux standards européens pour accéder au marché de l’UE.

L’OCDE et l’UNESCO : vers des principes globaux

Dès 2019, l’OCDE a adopté des « Principes sur l’IA », fondés sur des valeurs de transparence, de robustesse, de respect des droits humains et de responsabilité. Ces principes ont inspiré d’autres cadres régionaux. De son côté, l’UNESCO a publié en 2021 une « Recommandation sur l’éthique de l’IA », approuvée par près de 200 États membres, qui insiste sur l’équité, la non-discrimination et la durabilité environnementale. Toutefois, ces instruments demeurent non contraignants, ce qui limite leur portée réelle (CEIMIA, 2025).

Le G7, le G20, l’OCDE et l’ONU : coordination politique et diplomatique

Le G7 a lancé en 2023 le « Hiroshima AI Process », visant à promouvoir une IA de confiance et à établir des standards communs pour les modèles génératifs. Le G20 s’intéresse également à l’harmonisation des cadres normatifs, dans une logique de gouvernance inclusive impliquant les pays émergents. Enfin, l’ONU a créé en 2023 un panel d’experts de haut niveau sur l’IA, chargé de proposer des mécanismes de gouvernance globale, allant de la surveillance des risques militaires à la régulation des externalités environnementales liées aux infrastructures de calcul. Le Partenariat Mondial sur l’Intelligence Artificielle (PMIA), dont le CEIMIA est un des trois centres de support, est une initiative rassemblant plus d’une trentaine de pays membres qui a vu le jour en 2020 sous le leadership canadien et français avec pour but de promouvoir le développement et l’utilisation responsable de l’intelligence artificielle. En juin 2024, le PMIA et le groupe de travail sur l’IA des pays de l’OCDE ont combiné leurs forces sous la bannière GPAI afin de créer un partenariat intégré et invitent d’autres pays à rejoindre l’initiative. 

Les limites actuelles du multilatéralisme

Ces initiatives traduisent une prise de conscience collective, mais leur efficacité demeure contrainte par l’absence de mécanismes juridiquement contraignants et par les rivalités géopolitiques. La fragmentation des approches (occidentale, chinoise, etc.) ralentit l’émergence d’un consensus, notamment sur des sujets sensibles comme l’IA militaire autonome ou la gouvernance des données.

3.2 Les enjeux stratégiques : souveraineté, innovation et sécurité

La régulation internationale de l’IA ne relève pas uniquement de considérations techniques ou éthiques : elle est aussi un enjeu de souveraineté numérique et de compétition géopolitique. Les États-Unis et la Chine mènent une course à la suprématie technologique, tandis que l’UE cherche à imposer son modèle de régulation comme levier d’influence normative. Les pays du Sud, souvent absents des grandes discussions, dénoncent le risque d’une gouvernance asymétrique où leurs intérêts seraient marginalisés.

Vers une gouvernance hybride et adaptative

Face à ces défis, plusieurs chercheurs et institutions suggèrent que la régulation internationale de l’IA doit adopter une approche hybride et adaptative :

  • Hybride, car elle doit associer les États, les organisations internationales, les entreprises technologiques et la société civile. Les modèles de gouvernance multi-acteurs inspirés de la gouvernance d’internet (ICANN, forums multipartites) peuvent servir de référence.
  • Adaptative, car la technologie évolue rapidement, rendant inefficaces des régulations trop rigides. Des mécanismes de mise à jour régulière des normes et des standards techniques seraient nécessaires pour suivre l’innovation.

Certains proposent la création d’une Agence internationale de l’IA (sur le modèle de l’AIEA pour le nucléaire), chargée de surveiller les usages critiques, d’évaluer les risques systémiques et de coordonner la coopération entre États. D’autres plaident pour un cadre de traités sectoriels (par exemple, sur les armes autonomes, sur la transparence des modèles génératifs, ou sur l’empreinte écologique des systèmes d’IA).

Conclusion

La régulation internationale de l’IA se trouve aujourd’hui à un stade embryonnaire, marqué par une multitude d’initiatives non contraignantes et par la compétition des grandes puissances. Pourtant, les enjeux dépassent le seul cadre économique : il s’agit d’assurer un équilibre entre innovation, respect des droits fondamentaux, justice sociale et sécurité globale. L’avenir de la gouvernance internationale de l’IA dépendra de la capacité des acteurs à dépasser la fragmentation actuelle pour instaurer des mécanismes communs, inclusifs et évolutifs. À défaut, le risque est de voir émerger un monde où l’IA accentue les inégalités, fragilise les démocraties et accroît les tensions géopolitiques. L’équilibre est cependant fragile entre l’opportunité d’une régulation internationale et les réalités nationales qui se distinguent les unes des autres.

En matière de culture, de multiples enjeux soulèvent des questions liées à la créativité, la protection de la PI, le partage des fruits de la culture, le rôle des artistes dans nos sociétés, et nous pourrions en citer plusieurs autres. La montée de l’IA amène notre réflexion aux fondements même de l’acte de la création et de sa commercialisation. 

La régulation internationale de l’IA n’est donc pas seulement une nécessité juridique : elle constitue une condition essentielle pour que cette technologie devienne un levier de progrès collectif plutôt qu’un facteur de division et de domination. Mais cette même régulation internationale peut aussi émaner des États les plus puissants, marginalisant encore davantage les intérêts des États plus petits. La voie à suivre n’est à notre avis pas encore très clairement identifiée et c’est là aussi une partie du problème. Car, l’absence de régulation constitue une donnée même du régime régulatoire et l’IA n’attend pas que les réflexions sur cette question émergent pour continuer son chemin.

 

Références

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Cet article est le résultat d’une collaboration entre LATICCE-UQAM, CEIMIA et Mitacs. 

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cette veille demeurent sous l’entière responsabilité du rédacteur.

  1. Direction scientifique : Michèle Rioux, directrice du LATICCE
  2. Rédaction : Guy-Philippe Wells, directeur scientifique du LATICCE
  3. Coordination et révision : Janick Houde, Nathalie Noël et Arnaud Quenneville-Langis du CEIMIA
  4. Centre d’expertise international de Montréal en intelligence artificielle (CEIMIA)
  5. 7260 Rue Saint-Urbain, Montréal, QC H2R 2Y6, suite, 602, CANADA. Site web: www.ceimia.org 
  6. Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM)
  7. UQAM, 400, rue Sainte-Catherine Est, Pavillon Hubert-Aquin, bureau A-1560, Montréal (Québec) H2L 2C5
  8. CANADA. Téléphone : 514 987-3000, poste 3910 / Courriel: ceim@uqam.ca / Site web: www.ceim.uqam.ca